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Jean-Pierre AmeÌ ris, un eÌ motif de moins en moins anonyme

Jean-Pierre AmeÌ ris, le reÌ alisateur des EÌ motifs Anonymes et du tout reÌ cent Une famille aÌ€ louer, creÌ e souvent des personnages qui lui ressemblent, lui, l’angoisseÌ qui souffre de phobie sociale. Mais, loin d’eÌ‚tre tragique, son cineÌ ma raconte toujours des histoires de releÌ€vement et de sortie du tombeau.

Jean-Pierre AmeÌ ris est un grand timide, mais comme il se soigne, cela ne se voit pas trop. Durant deux anneÌ es, il a freÌ quenteÌ les EÌ motifs Anonymes, « une association d’hommes et de femmes qui partagent leurs expeÌ riences, leurs forces et leurs espoirs, dans le but de reÌ soudre leurs probleÌ€mes eÌ motionnels ». Et le film qu’il a reÌ aliseÌ avec BenoiÌ‚t Poelvoorde sur ce sujet a eÌ teÌ comme une theÌ rapie. « Si je parviens aÌ€ rire de ce qui me bloque, pensait-il, je pourrai m’en sortir. »
« Je serai toujours un eÌ motif. C’est par exemple toujours difficile pour
moi de prendre la parole en public, mais je suis content de le faire, parce que ça m’apporte du lien et qu’il n’y a pas de vie sans eÌ change. » TreÌ€s vite, AmeÌ ris a eu envie de reÌ aliser des films : « Filmer ce qui
va disparaiÌ‚tre et retenir ce qu’on aime, c’est l’essence meÌ‚me du cineÌ ma. J’ai tout de suite filmeÌ mes parents et mes grands- parents. Filmer, c’est garder vivant ce qui va disparaiÌ‚tre. » Le cineÌ ma est sans doute sa boueÌ e de sauvetage. Il n’est bien que quand il tourne, car il est dans un cadre et une structure bien deÌ finie et qu’il a un roÌ‚le preÌ cis aÌ€ jouer. C’est laÌ€ qu’il trouve son lieu et son lien. « Je n’arrive aÌ€ rencontrer l’autre que par le projet du cineÌ ma. Sans ce projet, je ne peux aller nulle part », confie- t-il. Ses projets de films lui permettent en effet de creÌ er du lien, d’entrer en prison ou dans un centre de soins palliatifs, de deÌ couvrir le monde des migrants aÌ€ Calais ou bien celui des enfants sourds et aveugles. Des lieux qui lui faisaient peur. S’il filme des situations de grande souffrance, c’est pour faire du bien aux gens, aÌ€ ceux qui vont aussi mal que lui, lorsqu’il eÌ tait plus jeune. AÌ€ l’adolescence, le jeune Jean-Pierre a beaucoup grandi et les complexes physiques se sont ajouteÌ s aux complexes sociaux. Il s’est replieÌ sur lui-meÌ‚me et avait beaucoup de mal aÌ€ entrer dans des lieux publics. La salle de cineÌ ma lui offrait alors un abri, un lieu sombre et clos ouÌ€ on ne le voyait plus, un cocon foetal dans lequel il pouvait vivre de grandes histoires avec les actrices. Le cineÌ ma l’a souvent ragaillardi et il espeÌ€re offrir le meÌ‚me bienfait aÌ€ d’autres.

COMME UN FRÊRE

En 1996, il tourne Les aveux de l’innocent, un film qui s’inspire d’une histoire vraie incroyable, qui s’est passeÌ e en 1984. Serge, le heÌ ros principal de son film, partage de nombreux points communs avec le reÌ alisateur. Il s’agit d’un jeune homme de famille modeste, qui eÌ tait monteÌ aÌ€ Paris avec des reÌ‚ves plein la teÌ‚te. Serge voulait faire l’acteur et Jean-Pierre reÌ alisateur. Mais le premier n’avait pas oseÌ frapper aÌ€ la porte des cours d’art dramatique, il avait eu peur. Il s’eÌ tait retrouveÌ sans abri et n’avait pas oseÌ appeler sa meÌ€re avec laquelle il avait du mal aÌ€ communiquer. Et un jour qu’il a faim et froid, il lit dans un journal qu’un chauffeur de taxi a eÌ teÌ assassineÌ dans le bois de Boulogne. Sur un coup de teÌ‚te, il entre dans un commissariat et s’accuse du crime. En prison, il a cru trouver un abri. « Serge Perrin eÌ tait un peu comme un petit freÌ€re. Il aurait pu m’arriver ce qui lui est arriveÌ , confie le reÌ ali- sateur, j’aurais pu me perdre, moi aussi, car j’avais du mal aÌ€ trouver ma place et aÌ€ communiquer avec mes parents, aÌ€ leur dire que ça n’allait pas. » Mais voilaÌ€ qu’en prison, sa meÌ€re vient lui rendre visite au parloir et lui dit : « Ce que tu as fait est terrible, mais tu es mon fils et je t’aime. » La parole d’amour de cette meÌ€re lui rend une raison de vivre et il n’a plus qu’une envie alors, c’est de sortir de prison.

LE GÉNIE DU TOUCHER

Souvent, c’est laÌ€ ouÌ€ les gens souffrent que l’on deÌ couvre le plus de solidariteÌ . Les lieux de souffrance sont, paradoxalement, des lieux de joie et de reÌ apprentissage de la vie. Le reÌ alisateur en a fait souvent l’expeÌ rience. Son film C’est la vie (2001), avec Jacques Dutronc, raconte l’histoire d’un homme plutoÌ‚t solitaire et bougon, qui a du mal aÌ€ se lier aux autres. Il entre dans un centre de soins palliatifs pour y mou rir et deÌ couvre que ce qui fait la beauteÌ de la vie, c’est le lien, c’est de se meÌ‚ler les uns aux autres, de partager. « Jusqu’au moment de faire le film, je n’avais jamais vu personne mourir. J’ai fait ce film pour me preÌ parer aÌ€ ce qui allait arriver. Cinq ans apreÌ€s ce film, alors que mon peÌ€re eÌ tait mourant, j’ai pu lui prendre la main, quelque chose que je n’avais jamais fait auparavant et que j’ai deÌ couvert en faisant ce film. »

S’ENGAGER

Les meÌ dias donnent chaque jour des raisons de deÌ sespeÌ rer de l’humaniteÌ , mais le reÌ alisateur voudrait proposer une parole autre. En 2007, il reÌ alise pour la teÌ leÌ vision Maman est folle. C’est l’histoire d’une meÌ€re au foyer, fragile nerveusement, qui cherche un sens aÌ€ sa vie, et qui, par hasard, rencontre les beÌ neÌ voles qui s’occupent tous les jours des migrants aÌ€ Calais. « En arrivant avec mon projet de film, j’ai eÌ teÌ accueilli treÌ€s chaleureusement, poursuit Jean-Pierre AmeÌ ris. J’ai senti laÌ€, comme rarement, la solidariteÌ humaine. Tous ces beÌ neÌ voles qui font un travail magnifique le font avec l’impression de faire simplement leur devoir. Au milieu d’eux, j’ai eu le sentiment d’eÌ‚tre au monde et je me suis mis aÌ€ servir la soupe avec les autres. Je me suis senti laÌ€ comme faisant partie de la communauteÌ humaine. Ces beÌ neÌ voles qui prennent des risques –“ certains se sont retrouveÌ s en prison et d’autres ont duÌ‚ payer des amendes –“ ne font, me semble-t-il que suivre l’exigence du Christ qui est de s’engager. »

DIEU EST DANS LE VIVANT

Marie Heurtin, son avant-dernier film, raconte l’histoire vraie d’une jeune fille aveugle et sourde, une sauvageonne indomptable que soeur Marguerite, avec obstination, va apprivoiser, apaiser et ouvrir aÌ€ la communication avec les autres. Au premier contact qu’elle a eu avec elle, soeur Marguerite avait compris que Marie n’eÌ tait pas la deÌ bile que l’on disait. Elle reÌ ussit aÌ€ gagner sa confiance et aÌ€ lui apprendre le langage des signes. La jeune fille comprend vite que le monde est langage et elle devient boulimique d’apprendre. Pour les sourds aveugles, le rapport au monde est dans le toucher et l’odorat. La premieÌ€re notion abstraite que soeur Marguerite lui apprend, c’est la mort. Lorsqu’une des nonnes meurt, elle lui fait toucher son cadavre. Le savoir est au bout de la main. DeÌ€s lors, comment expliquer Dieu aÌ€ un enfant qui ne peut pas le toucher ? Soeur Marguerite lui reÌ pond que Dieu est partout, dans le vivant, dans tout ce qui palpite, dans tout ce qui vibre.
Avec ce film, Jean-Pierre AmeÌ ris a pu parler de sa foi. Il aime la foi en action, la foi qui fait travailler, s’engager. Croire, c’est faire entrer le deÌ sordre, c’est aller vers l’inconfort, comme la soeur quand elle fait entrer Marie dans son institution. « Ce qui compte pour moi, c’est le deÌ pouillement, le chemin d’humiliteÌ , le don. J’aimerais avoir ce meÌ‚me deÌ tachement que soeur Marguerite qui a refuseÌ la LeÌ gion d’honneur. Elle ne voulait pas eÌ‚tre deÌ coreÌ e, elle preÌ tendait avoir fait ce qu’elle avait aÌ€ faire. »
Avec les sourds-muets et aveugles avec lesquels il a tourneÌ , le cineÌ aste a retrouveÌ la beauteÌ du monde. « Ces jeunes font un pied de nez aÌ€ nos socieÌ teÌ s ouÌ€ tout est virtuel. Ils prennent le temps de caresser les arbres, les animaux, ils enlacent le monde, le reniflent. Ces enfants sont plus au monde que moi, parce qu’ils l’embrassent. »

Jean BAUWIN

Marie Heurtin, un film de Jean-Pierre AmeÌ ris, disponible en DVD, Diaphana, 2015.

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